Edito du 30 avril 2021
La voix de la sagesse qui crie dans le désert…
…n’est pas cependant la voie de la panacée. La Cour des comptes dont on sait qu’elle veille au bon usage de nos contributions et cotisations sociales, émet régulièrement des rapports critiques toujours très solidement documentés, toujours globalement pertinents (dans le détail, il peut y avoir matière à discussion), toujours accueillis avec une grande considération politique et médiatique, et trop rarement suivis de mise en œuvre par les organismes d’Etat épinglés, faute de moyens, de temps, de volonté de réforme (réforme-toi toi-même ? Réponse : cours toujours !)
C’est le deuxième rapport en 10 ans sur ce thème, celui-ci plus particulièrement centré sur la question de la prise en charge des maladies psychiques sévères. Un rapport épais de plus de 120 pages dont 10 de synthèse (que nous vous soumettons ci-après avec nos commentaires, ce qui vous épargnera la lecture du pavé, cependant recommandée). Précisons que le rapport est suivi de 20 pages de réponses à celui-ci quand il en était encore au stade de projet, de la part d’organes tels que ministère de la santé, HAS, CNAM et ARS notamment. A lire aussi pour illustrer que tout le monde est à peu près d’accord sur le constat, converge globalement sur ce qu’il faut faire, et là, il n’y a pas que du bon tant la logique budgétaire est sous-jacente, pour ne pas dire prégnante versus les exigences thérapeutiques.
En bref, que dit ce rapport ?
Avec 25 milliards d’euros de dépenses annuelles dont 15 milliards d’euros pour l’hospitalisation et les soins en établissements et services publics ou privés, voici le premier poste de dépense de l’Assurance maladie. Pour prendre en charge 2,5 millions de patients sans compter ceux qui consultent les psychiatres libéraux.
Malgré cette enveloppe conséquente et en dépit des volontés affichées par le législateur pour prendre en charge le handicap résultant de la maladie mentale à travers les dernières décennies(i) le système français, qu’il s’agisse du secteur sanitaire ou du secteur médico-social qui le complète depuis l’idée des fondateurs de la désinstitutionnalisation (= désenfermement des aliénés de l’asile pour une réinsertion et un suivi médical dans la cité), ce système fonctionne mal. Le parcours du malade mental chronique sévère, alias le handicapé psychique (et non le handicapé mental, qui lui est un déficient intellectuel, subtilité de la prose législative) est un parcours chaotique et rempli de ruptures. Pourquoi ?
Parce que, dit le rapport, l’offre de soins est cloisonnée « en silos » et qu’elle est mal graduée en fonction de la sévérité des cas. De ces faits, elle perd en efficience et en efficacité : manque de détection précoce, réhospitalisations à répétition y compris sans consentement, rupture dans les parcours de soins...
Le rapport n’est pas tendre avec l’empilement bureaucratique des autorités de tutelle et des dispositifs ou plans destinés pourtant à remédier à la situation. Il semble que les modèles utilisés avec une certaine efficacité en médecine somatique peinent à être transposés en psychiatrie faute d’être compatible avec les spécificités de ce domaine, qui doit donc inventer ses propres référentiels.
On notera que ce rapport concerne essentiellement la psychiatrie adulte. La pédopsychiatrie partage pourtant bien des problèmes avec celle-là : cloisonnement des offres (sanitaires, médico-éducatives, médico-sociales) entraînant des ruptures dans les parcours, dont une majeure : celle du passage à l’âge adulte, offres souvent quantitativement insuffisantes et mal graduées… L’action de notre Collectif est centrée sur les adultes, mais ces derniers ont été, bien-sûr, des enfants et des adolescents parfois déjà victimes de troubles psychiques sévères, mais dont la chronicité n’est pas toujours avérée.
Enfin, notons que ce rapport est sorti avant de pouvoir prendre en compte l’annonce d’une « rallonge » de 60 millions € pour la psychiatrie par le ministre M. Olivier Véran (communiqué du 5/01/2021), répartie comme suit :
- 20 millions € vont permettre de soutenir 48 projets ciblés sur la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (ce qui va dans le sens de la prévention) ;
- 20 millions € vont au fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie (répartis entre 76 projets), qui en a bien besoin comme le montre le rapport de la Cour ;
- 10 millions € pour la création, dans la cadre du Ségur de la Santé, de 160 postes de psychologues au sein des Centres Médico-Psychologiques (CMP), ce qui correspond effectivement à une recommandation du rapport de la Cour ;
- 10 millions €, enfin, pour développer les démarches « d’aller-vers » les personnes en situation de détresse psychique par le renforcement des équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP), comme annoncé lors du Ségur de la Santé, ce qui va aussi dans le sens du rapport et ne peut qu’être approuvé par notre Collectif.
Une goutte d’eau par rapport à la masse des dépenses et par rapport à celle des besoins, mais une goutte d’eau qui va dans le bon sens et montre que le ministère a commencé à mettre en œuvre les recommandations qui clôturent ce rapport.
Hervé GANDILLON
coordinateur du
Collectif 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon
Pour télécharger la suite de l’article au format PDF, cliquer ici.
Hervé GANDILLON