Le Dr Jean-Louis PLACE, psychiatre, Directeur et médecin-chef de la Clinique de la Chesnaie à Chailles près de Blois (41), vient de livrer, dans le volume 95, N°1 janvier 2019[1] de L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE consacré aux cliniques privées[2], un important article intitulé :
Psychothérapie institutionnelle en clinique privée
Voici le résumé préliminaire présente par l’auteur lui-même :
« Fondé par le Dr Jeangirard en 1956, la clinique de Chailles s’est déployée à partir d’un château et de ses dépendances comme de nombreuses cliniques privées dans la période après-guerre. D’incendies en restaurations, d’expériences d’auto-constructions en édification de bâtiments neufs, l’historique architectural est un fil directeur qui témoigne de la mise en place d’une organisation du travail et du fonctionnement d’un collectif animés par les principes de la polyvalence et de l’auto gestion et s’appuyant sur un fort coefficient de transversalité. Avec ses associations satellites la Chesnaie n’est pas dans son environnement local qu’un établissement de santé : c’est aussi une salle de concerts, un lieu d’accueil pour des enfants, une scène de travail pour des artistes en quête d’inspiration. Avec une patientèle adressée en majorité par le service public, la clinique assure à contrecourant des politiques de santé actuelles des soins actifs de durée variable pour des patients psychotiques. Les notions d’accompagnement, de dé stigmatisation, d’hospitalité restent au cœur de la pratique de cette institution. »
Cet article mérite une synthèse un peu plus développée sur la partie qui décrit ce qu’est la psychothérapie institutionnelle telle qu’elle est pratiquée à Chailles, loin de l’image poussiéreuse, surannée et dispendieuse dont elle est affublée par d’aucuns qui, en fait, ne la connaissent pas ou mal*. Les passages en italique sont des citations textuelles de l’auteur. Les * signalent les commentaires du rédacteur de la présente note, n’engageant que ce dernier.
La Chesnaie, avec les principes de la psychothérapie qui l’animent, reste une institution en mouvement. L’auteur, trop modeste, aurait pu ajouter « à la pointe de la performance. » Surtout par rapport à la psychiatrie publique dans son état actuel*. Voici un aperçu du discours dénigreur courant des détracteurs de la psychothérapie institutionnelle :
[On s’y contente] de garder les patients[3], de gérer la chronicité, de privilégier [le concept de] lieu de vie au détriment du soin où par leur proximité avec les patients, les soignants favoriseraient un état de dépendance des patients jusqu’à les aliéner, [de] les soustraire à leur propre trajectoire[4] [à l’inverse] de la doxa du moment : l’empowerment, [|des médecins passéistes confis dans la naphtaline et des soignants immergés dans] une nostalgie des années 70. Et voilà le costume absurde taillé à la psychothérapie institutionnelle : elle n’est plus à la mode*.
Mais en face, c’est quoi, la psychiatrie publique telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui ? Le constat est sévère : soigner en psychiatrie consiste à adapter un traitement à une symptomatologie aigüe et passer le relais au secteur médico-social pour gérer le handicap.
Le « modèle » psychiatrique officiel, trop souvent loin de la réalité comme le dénonce le constat ci-dessus (on verra pourquoi ci-après), est décrit en ces termes par l’auteur : Les malades « psychiques » en France doivent pouvoir être diagnostiqués précocement dans les centres experts. Ils doivent bénéficier, au terme de la mise en place d’un traitement médicamenteux adapté, d’un projet de réhabilitation psychosociale où ils seront, après leur participation à des ateliers de remédiation cognitive, accompagnés dans un processus de recherche d’emploi ou au minimum de prise d’autonomie dans un logement seul ou thérapeutique/associatif. Pour ces derniers cas des structures alternatives de type CATTP, SAMSAH, hôpital de jour, GEM, plus ou moins en synergie doivent permettre de garantir l’autonomie avant le relais par le secteur médico-social chargé d’accueillir des personnes dont le statut est passé de malades à handicapés psychiques. L’hôpital ne doit être qu’un lieu de recours sur une durée limitée pour répondre aux situations de crise.
Si elle était effectivement mise en œuvre, cette politique (teintée d’idéologie humaniste, faux nez d’une recherche d’économies sur les frais de santé*), répondrait à une majorité des besoins des malades, et ce serait déjà bien. Mais !... gros mais !..., majorité ne veut pas dire totalité ! L’auteur souligne, comme ne cesse de le rappeler le Collectif 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon, qu’elle laisse […] de nombreux patients dans l’errance, la solitude intenable, l’abandon de la réalité commune, la chronicité subaigüe avec son cortège d’angoisse et de vécu de persécution. Avec les bons sentiments et la tartufferie de vouloir faire de la schizophrénie une maladie comme les autres, la sphère médiatique, qui n’en est pas à une incohérence près, en fait des assassins en puissance – ce qui n’est pas sans conséquence sur la reconnaissance des troubles et la coopération dans les soins.
[A l’opposé, en psychothérapie institutionnelle (PI)], l’ambition des soignants va au-delà de la sédation des troubles les plus observables. [En face d’une] étiologie multifactorielle, |la PI pense] une thérapeutique plurifocale associant la chimiothérapie la plus actuelle et la plus cohérente à une prise en charge d’un collectif travaillé par la transversalité dans un environnement […] qui laisse une place à la culture et à l’ouverture sur la réalité extérieure. En PI, la restauration du lien va bien au-delà de la fonction phatique. [La PI entend] créer les conditions pour que le plus grand nombre des patients puissent être acteurs de leurs soins, ce qui ne peut se concevoir que dans l’accompagnement des plus forclos à la réalité commune. En PI encore, la réhabilitation psycho-sociale n’est envisageable qu’à l’aune d’une véritable critique des troubles, d’une conscience de l’emprise de phénomènes persistants. Enfin, en PI les soins actifs sont de durée variable pour une typologie des patients qui s’est peu modifiée, des trajectoires toujours singulières avec un terme générique, les psychotiques, qui garde sa pertinence.
[C’est pourquoi] la Chesnaie comme la Borde[5] et quelques services dans le [secteur] public qui ont maintenu [l’exercice de la PI] ont gardé une légitimité à contre-courant des politiques qui s’imposent depuis la fin du 20ème siècle dans le domaine de la santé mentale.
L’auteur souligne avec une discrète ironie que les patients qu’il accueille à La Chesnaie lui sont majoritairement adressés par le service public. Celui-ci, en effet, est devenu incapable de satisfaire les besoins de thérapies « patientes » (le jeu de mot est fortuit mais tombe à pic) et d’accompagnement nécessaires aux malades psychotiques. Et d’énumérer ceux-ci, histoire de bien mesurer la déchéance technique et humaine de la psychiatrie dans l’hôpital public* : « Travailler le sentiment d’insécurité, la relation à l’autre, acquérir de l’autonomie », « se stabiliser, construire un projet », « prendre de la distance avec la famille, réévaluer le projet de vie », « reprendre un projet de réinsertion », « consolider son état, changer de vie », « se responsabiliser dans sa vie quotidienne, acquérir une meilleure gestion du temps et de son espace de vie », « accéder à un travail psychothérapique », « travailler la stabilisation clinique », « évaluer les capacités d’adaptation », « créer du lien, favoriser la revalorisation et la responsabilisation ». Ce florilège d’arguments […] se résume par « prise en charge institutionnelle ». Pressée par la performance quantitative, le manque d’effectif, la démotivation des soignants, l’appauvrissement en moyens financiers, la médecine psychiatrique publique passe aujourd’hui à côté de toutes ces attentes de ses patients*.
L’auteur ne manque pas d’égratigner au passage l’incohérence économique qui consiste à envoyer des malades « psychiques » français… dans des institutions belges à un tarif qui peut dépasser[6] celui de la Chesnaie ou des patients d’un foyer à double tarification à une clinique de psychothérapie institutionnelle (appliquant un tarif moins élevé) pour des soins actifs.
Obsolète, la psychothérapie institutionnelle ? Incontournable, plutôt, surtout pour les psychoses sévères. Même si elle a été fondée au lendemain de la dernière guerre mondiale par des médecins aux opinions marxisantes (d’où le parfum vieillot ?), la PI a su évoluer, s’adapter, s’ouvrir. On ne compte pas les psychiatres, même parmi les grands patrons universitaires, qui la considèrent comme irremplaçable[7] en tous cas en l’état actuel de la médecine. Qu’on n’aille pas en conclure que soutenir la PI, c’est se complaire dans le passé, parce que ça n’enlève rien aux recherches et aux nouvelles techniques thérapeutiques qui constituent un apport essentiel et un espoir pour l’avenir. A condition, toutefois, que la France dispose d’un système de soins de nouveau efficient, cohérent, piloté par le médical plutôt que par l’administratif. Et les talents existent.*
Laissons à l’auteur le soin de conclure : La Chesnaie reste une clinique privée qui maintient son engagement dans les principes qui l’instituent. Elle continue d’accueillir des patients sans, pour un certain nombre, de limite de temps avec cette ambition anachronique : changer le destin des personnes.
Attention à ne pas perdre les derniers modèles en fonction du génie de la psychiatrie française. Ces modèles seront des plus utiles pour l’indispensable œuvre de restauration à venir.*
Hervé GANDILLON
Coordinateur du
Collectif 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon
cent.mil.handicapes.psy@gmail.com
https://www.tvlocale.fr/au-nom-de-100-000-citoyens-sans-voix/articles.html
[1] Revue officielle du syndicat des psychiatres des hôpitaux - SPH, John Libbey éditeur.
[2] Dossier coordonné par les Docteurs Martin Reca et Aude Van Effenterre, psychiatres.
[3] Reproche stupide et de mauvaise foi : la liste d’attente d’admission est longue, et qui plus est alimentée par le service public qui veut se débarrasser de ses « inadéquats ». Et qui refuse souvent de reprendre, contre toute déontologie, les patients confiés en séjours de rupture. De quoi renforcer des relations de confiance entre public et privé ! *
[4] Autre reproche inepte : Pourquoi garderions nous des patients quand les demandes d’admission affluent si nous n’avions conscience de l’aggravation des troubles, voire du risque vital pour certain que provoquerait une sortie.
[5] Clinique de PI également située dans le Loir-et-Cher, fondée par le Dr Jean Oury, de peu l’aînée de La Chesnaie. Ces deux cliniques et celle de St Martin de Vignogoul sont sans doute les 3 dernières en France. Freschines (dans le 41 aussi) vient de fermer, et l’Hôpital public de Saint-Alban (48) portant encore le nom du fondateur de la PI le Dr François Tosquelles, établissement lui-même berceau historique de la PI, est passé dans la logique générale du traitement de crise. Exit la PI, ou c’est imminent.*
[6] Allègrement quand on entend parler de « reste à charge » de 3 ou 4000 € par mois pour les familles après contribution de la Sécurité Sociale française et des départements du nord de la France.*
[7] Pour ne citer, de façon forcément très injustement partielle, que quelques « pointures » : Pr Edouard Zarifian, Pr Pierre Delion, Dr Alain Buzaré, Dr Roger Salbreux, Dr Hervé Bokobza,…*
Hervé GANDILLON Coordinateur du Collectif 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon