L’ESSENTIEL
Depuis quelques mois et après des années de silence, les alertes médiatiques se multiplient sur les problèmes de la psychiatrie française. Les constats effarants sur l’état du système hospitalier (avec heureusement des exceptions) se succèdent, de même que les promesses gouvernementales. Des réformes s’imposent et un plan de reconstruction (dénommé « feuille de route ») a été promulgué par la ministre en charge de la Santé fin juin 2018.
Si le besoin d’une refonte de la psychiatrie publique fait l’unanimité, c’est beaucoup moins vrai pour les solutions envisagées : comme le rôle de l’hôpital public est de plus en plus restreint à la prise en charge des urgences et des premiers soins de courte durée, l’accent reste mis par les autorités de tutelle sur le « tout ambulatoire », au nom d’une société « inclusive » (i.e. les malades/handicapés retournent dans leur milieu habituel après l’hospitalisation). Or cette prise en charge ambulatoire est inadaptée aux personnes handicapées psychiques les plus lourdement atteintes, et les exclue au lieu de les inclure : au moins 150.000 d’entre elles sont à l’abandon du système de soins.
Alors la question se pose : pour elles, QUOI APRES L’HÔPITAL PSYCHIATRIQUE ?
Les familles le savent qui peinent à trouver une solution pour accueillir, soigner et réinsérer avec la patience qu’il faut leur enfant handicapé par une psychose sévère et chronique, les structures adaptées sont beaucoup trop peu nombreuses. Parmi elles, les dernières cliniques privées de psychothérapie institutionnelle n’offrent plus que quelques centaines de places, et semblent en sursis.
La psychothérapie institutionnelle est née avec la révolution psychiatrique. Bien que participante avant l’heure du mouvement d’inclusion des patients dans la société, elle est taxée aujourd’hui d’être surannée et rétrograde. Or elle est particulièrement performante, le montrer était le but de cette journée. Il importait en effet de faire redécouvrir les réalités de la psychothérapie institutionnelle d’aujourd’hui en clinique privée, et quel meilleur vecteur pour ce faire qu’inviter à cette (re)découverte un éminent professeur de CHU, donc du secteur public, en la personne du Pr Antoine Pelissolo.
Autour du Pr Pelissolo, de nombreuses personnalités ont été invitées : hauts fonctionnaires des ministères concernés, parlementaires, élus, médecins, dirigeants d’associations, journalistes… En raison de la date, peu ont pu venir, mais les participants ont vécu un moment de grande intensité en découvrant que la Clinique de Chailles était à la pointe de la performance en termes de soins, d’accompagnement vers la réinsertion mais aussi en termes économiques.
La visite du domaine de La Chesnaie est surprenante à bien des égards, par ses installations ultramodernes pour certaines, délicieusement rétros pour d’autres, ses bâtiments parfois très originaux, l’ensemble abritant une organisation des soins – dispensés en continu pendant la durée nécessaire –, attentionnée et diversifiée, un résidentiel qui l’est tout autant et une vie sociale active et ouverte sur l’extérieur. L’ensemble est d’une richesse inattendue.
La table ronde qui a clôturé la journée a permis de confronter des avantages et inconvénients du secteur public par rapport au privé, et les méthodes thérapeutiques. Le Pr Pelissolo a rappelé que l’hôpital public, souvent installé dans un bâti ancien et urbain, supportait des coûts plus élevés mais aussi que le secteur public avait la charge d’assurer la recherche et la formation, d’où les écarts tarifaires. Par rapport à la psychothérapie institutionnelle, la différence la plus criante est le manque de moyens humains, victimes des coupes budgétaires, alors que le soin en psychiatrie demande du temps. Or le secteur public en a de moins en moins à consacrer à chaque patient.
Une clinique comme celle de Chailles constitue un relais efficace après l’hôpital psychiatrique public, à preuve : 95 % des candidatures à l’admission proviennent de ce dernier. Efficace et … irremplaçable ?
ET POUR PLUS DE DETAILS
Le contexte :
Entre le récent documentaire de Gérard Miller diffusé sur France3 (20/03/19) intitulé « la folie à l’abandon » et le magazine diffusé le 10 avril sur la même chaîne (Pièces à conviction : « Psychiatrie, le grand naufrage »), le sujet devient enfin d’une actualité brûlante. Mais il n’y a toujours aucune réponse des pouvoirs publics à la question : QUOI APRES L’HOPITAL PSYCHIATRIQUE ?, autres que les familles, le bénévolat associatif ou des structures alternatives numériquement complètement débordées,
La psychothérapie institutionnelle reste aujourd’hui l’une des meilleures voies de prise en charge des psychotiques sévères, en termes de performance des soins et d’accompagnement mais aussi de coûts. De façon incompréhensible, elle est menacée de disparition. En soulignant s’il en est besoin que les personnes souffrant de ce type d’affection sont aussi des personnes reconnues comme handicapées depuis la loi de 2005, il nous a paru essentiel de contribuer aux débats en organisant cette première session sur les réalités de la psychothérapie institutionnelle contemporaine comme modèle de prise en charge des personnes sévèrement handicapées psychiques.
A l’heure où l’on constate que le virage ambulatoire, par ailleurs extrêmement positif pour la prise en charge d’une très grande majorité de cas de maladies psychiques, n’est pas adapté à certaines pathologies sévères et chroniques car laissant, dans la pratique, des milliers de personnes à la dérive, il importe de revisiter l’image, à tort surannée voire rétrograde, de la psychothérapie institutionnelle. Le taux de succès d’un établissement comme celui de Chailles montre au contraire qu’elle se situe aujourd’hui à la pointe de la performance. La file d’attente des candidatures à l’admission, très majoritairement adressée par le secteur public, montre également la complémentarité avec celui-ci.
L’évènement :
Cette visite a été animée par M. Docteur Jean-Louis PLACE, directeur et médecin-chef de la Clinique de la Chesnaie à Chailles près de Blois, avec la participation de M. le Professeur Antoine PELISSOLO, psychiatre, chef de service (CHU Henri-Mondor/Albert-Chenevier et Université Paris-Créteil), chercheur à l’INSERM, membre de la fondation FondaMental, auteur de plusieurs ouvrages1, et à l’initiative de la récente lettre collective de 120 psychiatres du secteur public à Mme la Ministre des Solidarités et de la Santé pour l’alerter sur les dérives du financement de psychiatrie publique2.
La journée s’est articulée en trois temps forts, de 11h30 à 17h :
- Accueil des participants3 dans le très original bâtiment du Train Vert4, tour de table de présentation individuelle et rappel du contexte évoqué ci-dessus, suivi d’un déjeuner convivial dans le wagon-restaurant voisin devenu restaurant associatif5. Les participants étaient :
- Le Pr Antoine PELISSOLO ;
- Le Dr Jean-Louis PLACE ;
- Mme Claude HOVHANESSIAN-GANDILLON, administratrice du Conseil national handicap en charge de la Santé, ancienne Directrice du Label du Journal ELLE et des titres associés, organisatrice de l’évènement ;
- M. Yves CROSNIER-COURTIN, Maire de Chailles ;
- M. Hervé GANDILLON, coordinateur du Collectif 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon, HEC, ancien industriel, ancien consultant ;
- Le Dr Magali VERDONK, psychiatre, en charge de l’hôpital de jour de La Chesnaie
- Le Dr Georges BELIGNE, psychiatre, en charge du MOSEL ;
- M. Thomas HER, interne en médecine, futur psychiatre ;
- Mme Béatrice BOSSARD, journaliste, La Nouvelle République (en fin de session) ;
- Mme Chloé CARTIER-SANTINO, journaliste, Le Petit Solognot ;
- Mme Gaëlle LABORIE, journaliste au média internet indépendant TV Locale ;
- M. Michel LECOMTE, producteur, Président du réseau social Smartrezo,
- Visite du domaine de La Chesnaie, un ancien château avec ses dépendances et les constructions nouvelles qui se sont ajoutées au fil des années : un pavillon d’accueil-bar-salle de spectacles d’une architecture très originale, dénommé le Boissier, le tout aussi original Train Vert déjà mentionné, un bâtiment tout récent comprenant le restaurant privé (patients, soignants, staff) et des chambres individuelles. Dans les dépendances, on trouve une structure alternative à l'hospitalisation temps plein (30 places en hôpital de jour et hôpital de nuit), un module résidentiel semi-autonome appelé le MOSEL, des salles d’activités (sports, peinture, musique,….). La clinique peut accueillir en séjour complet une centaine de patients, sans inclure ceux qui bénéficient des logements thérapeutiques satellites. Elle est un milieu ouvert, sans murs, ni grilles, ni blouses blanches.
- Une table ronde à laquelle se sont associés des patients et des soignants.
- Introduction par le Dr Place résumant le concept de psychothérapie institutionnelle, suivie d’un exposé sur la mise en œuvre des principes de celle-ci à Chailles. L’accent a été mis sur l’articulation entre la partie clinique (soins) et les nombreuses activités (organisées en associations 1901) permettant la participation et l’inclusion des patients dans la vie sociale au sens large de l’établissement, très ouverte au monde extérieur dans les deux sens : activités, ateliers, concerts et spectacles, kermesse, etc. 5 psychiatres, un généraliste et un pharmacien constituent l’équipe médicale épaulée par une équipe étoffée de « moniteurs » polyvalents.
- Visionnage des remarquables reportages TF1 (JT 20h) et La 5 (Magazine de la santé) sur La Chesnaie et Saumery (établissement proche de Chailles), qui sont très illustratifs de la PI, et qui ont tournés à l’occasion des premiers (et derniers) Etats Généraux de la Psychiatrie à Montpellier en 2003, lesquels ont largement lancé les débats et alertes sur la psychiatrie française qui se succèdent depuis 15 ans. L’un des témoignages recueillis dans ces reportages met en évidence le stress subi par le patient à l’hôpital public qui vit mal le sentiment de pression par le temps, pression qui n’existe (en principe) pas en PI.
- Débat, questions/réponses avec la participation du Pr Pelissolo, des patients et soignants présents à la table ronde. Le Pr Pelissolo a notamment expliqué que les soins en psychiatrie, contrairement aux autres branches de la médecine, reposent largement sur les moyens humains car le temps qui doit être consacré à chaque patient est essentiel dans la qualité de sa prise en charge, comme le montre l’exemple de la psychothérapie institutionnelle qu’il est heureux d’avoir redécouverte à l’occasion de cette journée. Or, c’est cette variable humaine qui est la première victime de la politique de réduction des coûts menée par les autorités de tutelle depuis des années. Le professeur est revenu aussi brièvement sur les dérives des financements alloués à la spécialité (voir note 2), qui pèse pourtant, en termes de besoins thérapeutiques, au moins un cinquième de la santé globale6, et a expliqué qu’on ne pouvait pas comparer les coûts (malgré la tentation de la « convergence » qui a inspiré un moment les pouvoirs publics) entre public et privé. Le secteur public assume en général une lourde charge foncière en milieu urbain, un bâti souvent ancien demandant des frais de maintenance élevés, mais surtout le secteur public assure les urgences, la formation et la recherche.
* * *
Une prochaine session sur le thème QUOI APRES L’HÔPITAL PSYCHIATRIQUE ? sera prochainement organisée sur la question suivante :
Quelles alternatives de prise en charge du handicap psychique sévère
– soins psychiatriques et accompagnements vers l’autonomie –
entre l’hôpital public et la clinique privée ?
- La troisième population, A. DUCOUDRAY & J. POURQUIE, une BD-reportage sur la Clinique de la Chesnaie, Futuropolis 2018
- Psychiatrie institutionnelle en clinique privée, article du Dr Jean-Louis PLACE in L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE, volume 95, N°1 janvier 2019 (consacré aux cliniques privées). Une synthèse sous forme de note de lecture de cet article est disponible sur demande*.
- Qu’est-ce que la psychothérapie institutionnelle ? Brève note d’information rédigée7 par le Collectif 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon*.
- Les établissements de psychothérapie institutionnelle en 2019 en France, note établie par le Collectif 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon*.
- Dossier d’information 100.000 PSYCHOTIQUES FRANçAIS A L’ABANDON, rapport avec synthèse rédigé8 par le Collectif 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon* et remis à M. le Président de la République, M. le Premier ministre, Mme la ministre des Solidarités et de la Santé, Mme la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées et M. le Défenseur des Droits.
[1] Dont : Vous êtes votre meilleur psy, Dépression : s’enfermer ou s’en sortir ?, Retrouver l’espoir, Abécédaire de psychiatrie positive. Le Pr Pelissolo est aussi animateur du blog Psy4i.fr et du profil twitter MediKpsy.
[2] Lettre collective à Mme Buzyn en date du 6/11/2018.
[3] La date du 26/04/2019, en pleine vacances scolaires de la zone C, s’est révélée problématique pour de nombreuses personnalités qui ont dû décliner l’invitation pour ce motif ou à cause d’autres engagements, parmi lesquelles : Dr Xavier Emmanuelli, fondateur SAMU social, Mme Barbara Pompili, députée de la Somme, Mme Rose Touroude, VP UNAFAM, M. S. Baudu, député du Loir-et-Cher, Mme V. Magnant, dircab secrétariat d’Etat aux personnes handicapées, M. JP. Prince, sénateur du Loir-et-Cher, M. T. Kurth, DGOS, ministère des solidarités et de la sant, M. Y. Bubien, dircab santé, ministère des solidarités et de la santé, M. Patrick Poivre d’Arvor, journaliste, M. Laurent Habert, DG ARS Centre Val de Loire, M. M. Gricourt, maire de Blois et 1er VP de la région, Pr Gérard Miller, Dr Roger Salbreux et Pr Jean-Philippe Boulenger, etc.
[4] Un surprenant assemblage d’anciennes voitures de chemin de fer, dont un wagon-restaurant encore utilisé dans la même fonction, et des wagons-lits à usage de chambres pour les visiteurs et stagiaires de passage. L’établissement est staffé par des patients sous la houlette d’un moniteur.
[5] Le service est assuré par des patients « en mission sous contrat ».
[6] L’OMS, et l’INSERM pour la France, estiment en effet qu’une personne sur quatre souffrira au moins une fois dans sa vie de troubles, plus ou moins graves et plus ou moins durable, de « santé mentale ».
[7] Sous la supervision scientifique des Dr Roger Salbreux et J.L. Place.
[8] Sous la supervision scientifique du Dr Roger Salbreux, Pédopsychiatre, Président d’honneur du comité éthique et scientifique de la Fondation Internationale de Recherche Appliquée sur le Handicap (FIRAH), ancien Secrétaire Général du Conseil national handicap, ancien Président de l’Association Internationale de Recherche scientifique en faveur des personnes Handicapées Mentales (AIRHM), initiateur des Centres d’Action Médico-Sociaux Précoce (CAMSP), ancien chercheur au CESAP, (Comité d'Études, d'Éducation et de Soins Auprès des Personnes Polyhandicapées)