QUI VEUT TUER LA PSYCHOTHERAPIE INSTITUTIONNELLE ? Combien de temps durera la résistance salutaire de quelques « villages gaulois » ?


QUI VEUT TUER LA PSYCHOTHERAPIE INSTITUTIONNELLE ? Combien de temps durera la résistance salutaire de quelques « villages gaulois » ?

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Article N°26123

QUI VEUT TUER LA PSYCHOTHERAPIE INSTITUTIONNELLE ? Combien de temps durera la résistance salutaire de quelques « villages gaulois » ?

Tout le monde ou presque s’accorde sur le constat du désastre de la psychiatrie française, il n’est que de parcourir les articles de la présente page ou ceux de la page associée (https://aunomde100000citoyenssansvoix.smartrezo.com/index.html ). Sur les voies de la reconstruction, les avis divergent, avec la classique querelle des Anciens et des Modernes. Parmi les Modernes, il y a naturellement à espérer de la recherche (mais il faut lui laisser le temps de produire des avancées, et c’est long) et de nouvelles méthodes thérapeutiques (notamment celles de la réhabilitation psychosociale), mais il y a aussi beaucoup à craindre de l’obstination à promouvoir des approches exclusivement classificatrices, privilégiant les traitements médicamenteux et le suivi tout ambulatoire, qui laissent tant de malades à l’errance.
 

Rappeler que les Anciens n’étaient pas les ignares ou les primitifs que bien des Modernes (heureusement pas tous) regardent avec dédain, ce n’est pas se livrer à la nostalgie du bon vieux temps. Les méthodes psychanalytiques, tant décriées pour leur jargon abscons et certaines dérives peu rationnelles, ont beaucoup évolué ces derniers temps et continuent à produire des résultats très intéressant pour sortir le malade psychotique du handicap[i].
La psychothérapie (ou psychiatrie) institutionnelle, née de concepts novateurs d’après-guerre, donne elle aussi d’excellents résultats, il suffit de parcourir les autres articles de cette page pour le comprendre[ii]. Aujourd’hui, elle utilise toute une palette d’outils n’excluant pas la psychanalyse ni la pharmacologie, et des méthodes non sans rapport avec celle de la réhabilitation psychosociale. En résumé, ce sont des méthodes thérapeutiques relevant d’une psychiatrie humaine, artisanale pour rependre le terme du Dr Emmanuel Venet[iii].
Mais voilà, les approches « neuroscientistes »[iv] sont beaucoup plus expéditives, alors que la psychiatrie humaine demande beaucoup de temps d’accompagnement du malade. Le temps, c’est de l’argent, donc voici le mobile du meurtre : faire des économies de frais médicaux. Les approches neuroscientistes offrent l’alibi. Le coupable, c’est cette spirale bureaucratique autojustifiante qui, en psychiatrie comme ailleurs en matière de santé, ne cesse de poursuivre l’objectif de restriction de dépense par l’organisation de la pénurie. Visiblement, les derniers ministres successifs ne sont pas parvenu à inverser le processus, la pandémie n’a pas manqué de le mettre en lumière.
Alors, la psychothérapie institutionnelle ? Son talon d’Achille, c’est de demander du temps, d’occuper des lits d’hospitalisation (privés, car bien sûr elle n’existe quasiment plus dans le public de plus en plus « industriel »). Un principe-clé de la PI, c’est l’absence de pression temporelle de l’établissement sur le patient : la sortie ne se fait (en principe) qu’une fois que ce dernier a récupéré un niveau de rétablissement et d’autonomie satisfaisant pour un suivi externe. Or que trouve-t-on de mieux pour se débarrasser de ces « pratiques « d’un autre âge » ? On apprend de source professionnelle bien informée  que la DGOS, dans le cadre de la réforme du financement des établissements privés et publics en cours de  « négociation » avec les fédérations hospitalières, a envisagé d’imposer la dégressivité tarifaire en fonction de la durée de séjour. Autrement dit, en psychiatrie, cela impacterait certains services de secteur qui ont su garder des lits et les derniers établissements de psychothérapie institutionnelle, en accélérant les sorties d'hospitalisation de patients psychotiques chroniques incapables de vivre décemment en autonomie. Heureusement, selon la même source, devant le tollé des professionnels, la DGOS semble avoir suspendu cette option. Pour combien de temps ?
Les derniers établissements de PI… Et oui, il s’agit bien de liquider ces ultimes pépites de la psychiatrie à la française subsistant de ses heures de gloire. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Petit tour d’horizon.

 
Les établissements de psychothérapie institutionnelle en 2019/2020 en France
La compilation d’informations ci-après permettra au lecteur de se forger une idée sur l’état actuel de cette pratique en établissement… Le
tour d’horizon sera malheureusement vite exécuté.
Hervé GANDILLON
Coordinateur du Collectif 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon
Avril 2019 (revu mars 2020)
ETABLISSEMENTS EN ACTIVITE
(Présentations tirées du site Internet 2019 de chaque établissement)
 
La Chesnaie (Chailles – 41)
La Chesnaie est une clinique psychiatrique, en milieu ouvert, accueillant une centaine d'hommes et femmes de tous âges, venant du Loir-et-Cher et de la Région Centre, aussi bien que des centres urbains de l'ensemble du territoire ou d'autres pays francophones.
 L'institution prend en charge des patients souffrant de troubles mentaux aigus ou chroniques nécessitant des soins intensifs, parfois de longue durée.
 Les traitements biologiques et physiques classiques sont associés à un travail psychothérapique, individuel, ou en groupe dans un environnement stimulant, (vie associative, contrats d'activité, ateliers de production et d'expression).
Les soins sont assurés par une équipe de moniteurs ayant à la fois une pratique de soignants et des expériences professionnelles variées et complémentaires.

Saumery (Huisseau sur Cosson – 41)
Depuis 1938, au château de Saumery, la clinique médicale du centre prodigue des soins aux personnes souffrant de troubles psychiques.
L'approche affine et reconsidère la notion même d’hospitalisation, dans sa qualité d'accueil qui, complétée d'une démarche psychodynamique vise l’inflexion positive du parcours de soin.
L’offre privée est ici complémentaire de l’offre sanitaire publique. Elle accueille les mêmes usagers, à des moments différents de leur cheminement.  Aucun dépassement tarifaire n'est pratiqué.
 A partir des années 2000, le projet médical s'est progressivement orienté en direction de la jeunesse. Une unité Soins Etudes, destinée aux 15 - 25 ans, a ouvert en 2009.  Un hôpital de jour, "la Maison d'Artémis"  a été inauguré fin 2015 à Blois, pour des jeunes âgés de 11 à 17 ans.
Depuis 2012, la clinique participe à la formation des internes en psychiatrie.
Pôles ressources, lieux de formation et d’échanges cliniques approfondis, publications, la clinique de Saumery et la maison d'Artémis contribuent à la qualité de l'environnement sanitaire psychiatrique local, régional et national.

La Borde (Cour-Cheverny – 41)
 La Clinique de la Borde est une Clinique psychiatrique privée pour adultes, agréée et conventionnée. Elle a été fondée en 1953 par le Docteur Jean OURY. Sa capacité d’accueil est de 107 lits d’hospitalisation complète et 30 places en hospitalisation de jour. La Clinique dispose de quatre secteurs d’hébergement et de soins : les Pilotis, le Parc, l’Extension et les Bois. Le rez-de-chaussée du château est un espace d’accueil pour tous les labordiens, les familles et les visiteurs. Le premier étage du château accueille les patients en hospitalisation de jour. Les personnes hospitalisées le sont volontairement. Aucun lieu de soins n’est fermé et la Clinique est un espace où l’on peut circuler. La prise en charge des espaces de vie quotidienne est l’affaire de tous. Dans le projet thérapeutique de La Borde on souligne le « potentiel soignant » de chacun: médecins, personnel, patients.

ETABLISSEMENTS DISPRUS OU AYANT CHANGE DE PRATIQUE
 

Centre Psychothérapique (devenu Clinique) de Saint Martin de Vignogoul (Pignan – 34)
La présentation ci-dessous n’est plus en ligne, la clinique appartenant désormais au groupe OC Santé qui se présente comme «  le premier groupe de santé indépendant de la région Occitanie. Il réunit et gère 17 établissements regroupant toutes les spécialités. » La nouvelle présentation de la clinique (consultée en mars 2020) ne fait plus allusion à la psychothérapie institutionnelle. Elle reste un établissement psychiatrique avec hospitalisation complète.
Il nous a paru intéressant de reproduire la présentation de cet établissement à l’époque encore toute récente (2019) où il était dirigé par le Dr Hervé BOKOBZA, une des sommités reconnues de la psychothérapie institutionnelle. Espérons que la pratique n’y est pas totalement abandonnée.
 Le Centre Psychothérapique accueille de jeunes patients souffrant de psychose ou de névrose grave.
Ils sont assurés d'un accueil et d'un accompagnement attentifs et s'engagent à participer au travail quotidien de psychothérapie de groupe ainsi qu’aux activités qui leur sont proposées : ces dernières restent à leur libre choix.
Le projet de soin est basé sur la psychothérapie institutionnelle et la psych analyse.
Le travail psychothérapique privilégie l'écoute du patient. Il se fait essentiellement dans le groupe psychothérapique quotidien, mais aussi, sur demande ou sur indication, en psychodrame, physiothérapie, psychothérapie individuelle, relaxation, musicothérapie.
Dans la perspective de psychothérapie institutionnelle, les soins proposés sont le fait de l’ensemble de l'Institution, elle-même en constant questionnement sur sa pratique. L'accompagnement quotidien est assuré par l'ensemble de l'équipe, aussi bien en ce qui concerne le soin proprement dit, que pour les activités d’animation, de gestion ou de participation à la vie institutionnelle.
Le travail institutionnel s'articule autour de réunions à rythme régulier permettant la rencontre et l’échange entre les différentes personnes et groupes sociaux travaillant dans le Centre ou bénéficiant des soins.  Les projets de réinsertion sociale et professionnelle sont favorisés et accompagnés notamment par la présence d’une assistante sociale.
L'admission est réservée à des patients de 18 à 40 ans.

Freschines (Villefrancoeur – 41)
Pendant vingt ans, la clinique de Freschines, à Villefrancœur, a été partie intégrante de la psychiatrie institutionnelle blésoise, aux côtés des cliniques de la Borde, la Chesnaie et Saumery. Créée en 1973, elle a été rachetée en 1993 par le groupe privé Générale de santé. Soixante lits y étaient encore ouverts dans le château. Le 28 décembre 2012, la clinique a fermé définitivement ses portes (Source : NRCO)
Aujourd’hui, le château a été converti en chambres d’hôtes (photo du site en 2020)

Le Centre Hospitalier Francois Tosquelles  (Saint Alban sur Limagnole – 48)

 Créé par l’un des pères fondateur de la psychothérapie institutionnelle qui lui a donné son nom actuel, c’est l'Etablissement Public de Santé Mentale de Lozère. Mais on n’y pratique plus la PI. En 2015, l’ARS a imposé des coupes sévères de budget, impliquant la suppression de 25 postes à obtenir par un raccourcissement de la durée d’hospitalisation des patients. Tollé dans ce « La Mecque » de la psychiatrie française (source FR3 Occitanie 30/07/2015[v])

La Lironde, (St Clément de Rivière – 34)
Cette clinique de 106 lits existe toujours, rachetée en 2011 par Clinea. Exit la psychothérapie institutionnelle (voir ci-après). On y pratique la psychiatrie « générale » en courts séjours.

* * *
Il ne reste donc que 3 établissements de psychothérapie institutionnelle en France, tous privés (7 il y a 10 ans), soit de l’ordre de 300 à 400 places, une goutte d’eau par rapport aux besoins de prise en charge. Et encore, seules La Chesnaie et La Borde n’imposent pas de limites d’âge. A noter que les 3 sont dans le Loir-et-Cher, lieu historique de développement de la PI par des collègues de F. Tosquelles.
Le média en ligne Basta ! dénonce, dans un article publié en novembre 2018[vi], la privatisation rampante de psychiatrie française comme conséquence du désengagement continu du secteur public maintes fois souligné par ailleurs. Les groupes de cliniques privées créent ou rachètent des établissements. En nombre bien sûr très insuffisant et avec une logique de rentabilité financière (« avec l’argent de la Sécurité Sociale ») qui privilégie les patients aisés (pouvant payer des dépassements ou bien mutualisés) et des pathologies « choisies », les plus faciles et rentables (addictions, dépression,…) à prendre en charge.
Ce phénomène n’épargne pas les cliniques privées indépendantes de psychothérapie institutionnelle. L’article cite le témoignage suivant, particulièrement évocateur :
« L’heure est à la concentration du secteur : ces groupes[vii] se sont souvent constitués en rachetant de petites cliniques qui, bien qu’appartenant au secteur lucratif, n’étaient pas dans la même logique d’expansion et de rendement financier propre au grands groupes. "La clinique où je travaille était une petite clinique, dans le secteur lucratif, mais qui avait été fondée par quelques psychiatres et qui œuvrait beaucoup dans la psychothérapie institutionnelle", témoigne Philippe Gallais, infirmier qui a passé vingt ans en psychiatrie, et est délégué CGT au sein du groupe Clinea. »
Et plus loin :
« "Les petites cliniques de psychothérapie institutionnelle ne tenaient que par la force de leurs fondateurs et des personnes qui y travaillaient. Elles subissent aujourd’hui les OPA de grands groupes qui les transforment en entreprises, ajoute Philippe Gasser, psychiatre, vice-président de l’Union syndicale de la psychiatrie. Cela commence par des plans sociaux, puis vient la rationalisation des pratiques, avec moins de soignants, moins de thérapie communautaire, moins d’art-thérapie, moins d’ergothérapie." À la Lironde, le travail s’est bel et bien transformé après le rachat de la clinique. En 2011, le personnel s’est mis en grève contre « une dégradation des conditions de travail » depuis l’acquisition de l’établissement par Clinea.

L’article est également sévère sur le rôle joué par certaines ARS, qui « jouent la concurrence entre public et privé », ne différencient pas les besoins selon les types de prises en charge et en ne raisonnant que par nombre de lits, n’interviennent pas pour apaiser les conflits sociaux dans les établissements. Bref, de purs gestionnaires quantitatifs.

 

[i] Voir en particulier Valérie BOUCHERAT-HUE, Denis LEGAY et alii, Handicap psychique, questions vives, érès
[ii] Voir à ce sujet sur la même page l’article intitulé : Qu’est-ce que la Psychothérapie institutionnelle ? et l’article intitulé NOTES DE LECTURE : Psychothérapie institutionnelle en clinique privée.
[iii] Manifeste pour une psychiatrie artisanale, Verdier 2020
[iv] Celles qui misent tout sur le neurologique en négligeant le psychologique, comme si un informaticien ne s’intéressait qu’aux dysfonctionnements du hardware de son ordinateur en négligeant les bugs des logiciels. Pas question pour autant de nier l’intérêt de l’apport des neurosciences à la recherche en psychiatrie.
[vi] Ces grands groupes de santé privés qui comptent bien profiter de l’agonie de l’hôpital psychiatrique public par Rachel Knaebel 20 novembre 2018. https://www.bastamag.net/Ces-grands-groupes-de-sante-prives-qui-comptent-bien-profiter-de-l-agonie-de-l
[vii] L’article en cite 2 principaux : Générale de Santé (Ramsey, Australie) et Orpea/Clineea (CPPIB, Canada)

Gaelle Laborie

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