Qu’est-ce que la psychothérapie institutionnelle aujourd’hui ?


Qu’est-ce que la psychothérapie institutionnelle aujourd’hui ?

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Article N°25815

Qu’est-ce que la psychothérapie institutionnelle aujourd’hui ?

La  brève notice[1] qui suit est pour l’essentiel extraite des annexes du Dossier d’information[2] 100.000 PSYCHOTIQUES FRANçAIS à L’ABANDON en date du 5/02/2019. Son but est double : donner un aperçu accessible de ce qu’est la psychothérapie (ou psychiatrie) institutionnelle aujourd’hui, et montrer son actualité face à la déconsidération affectée dans certaines hautes sphères, car la PI est à l’opposé des prises en charges de type « urgence/crise + suivi ambulatoire » en vogue aujourd’hui avec les conséquences désastreuses que l’on sait pour un nombre effroyable de malades pour lesquels ces dispositifs sont excluants..
 
Hervé GANDILLON
Coordinateur du Collectif 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon

Avril 2019 actualisé novembre 2021

PSYCHIATRIE DE SECTEUR ET PSYCHOTHERAPIE INSTITUTIONNELLE sont les deux piliers de la Psychiatrie à la française, les deux grands apports de la révolution psychiatrique des années 1950-60. Elles font toujours l’objet d’un DU à l’Université Paris 7 Diderot.


La Psychothérapie Institutionnelle est une méthode de soins complexe[3] qui fait plus ou moins appel, en équipe à géométrie variable peu hiérarchisée, à tous les soignants de l’établissement[4], et qui ainsi situe le patient au milieu d’une « constellation[5] » de relations avec et entre eux (et les parents pour les mineurs), et enfin qui fait appel en tant que de besoin aux autres thérapies (pharmacothérapie, psychanalyse sous une forme adaptée à la psychose[6], encore rarement thérapies cognitivo-comportementales). Le patient est participant à sa thérapie et à la vie sociale du groupe patients/soignants dans lequel il est accueilli et dans lequel on lui confie des responsabilités[7] pour entretenir le « lien social » (c’est cela qui constitue « l’institution » centrée sur le patient). Elle est aussi une pionnière du « case management »[8].

La psychothérapie intentionnelle est intimement liée à la philosophie qui a conçu le secteur.  « Un équilibre institué, » dit le Dr Place[9]« entre la circulation des patients vers la cité et l’entrée du monde extérieur dans l’espace de la maladie. »

Cette thérapie présente l’inconvénient d’être « chronophage », car elle demande l’accueil du patient dans la durée. Un inconvénient majeur face à la chimiothérapie, plus expéditive et donc privilégiée par les autorités sanitaires, chimiothérapie qui calme la crise et apaise les symptômes aigus mais ne « guérit » pas[10]. Elle est taxée aujourd’hui d’être surannée, mais c’est plus en raison de la (relative) complexité de sa mise en œuvre et donc de son coût à la longue (quoique les établissements qui la pratiquent encore sont en général nettement moins dispendieux que la moyenne) qu’en raison de son hypothétique inefficacité : elle est toujours, dans les faits, à la pointe de la performance. En effet, elle continue à faire partie de ce qui se fait de mieux à ce jour, du moins pour les psychoses les plus lourdes, en termes de résultats (rétablissement des malades). Enfin, last but not least, à l’origine, la psychothérapie institutionnelle a été fondée sur la psychanalyse et la gestion communautaire d’inspiration marxisante[11], deux courants aujourd'hui assez peu appréciés, en butte notamment à une certaine hostilité de la HAS[12].

Indépendamment de ces critiques simplificatrices et non dénuées d’arrière-pensées, la psychothérapie institutionnelle continue à avoir de nombreux soutiens : Pr Delion, Dr Salbreux et des dizaines d’autres psychiatres même parmi les promoteurs de nouvelles approches. Le Dr Salbreux a été le promoteur de l'institution thérapeutique, qui est une variante élargie de la psychothérapie institutionnelle et a fondé l'Association scientifique de Psychiatrie institutionnelle[13] (AsPi) pour défendre et même promouvoir cette pratique. Même un éminent chercheur comme le Pr Jean-Philippe Boulenger[14], dont les travaux ont été essentiels pour le développement des thérapies de la troisième vague de la remédiation cognitive, estime que la psychothérapie institutionnelle reste irremplaçable dans certains cas[15]. Dans l’abstract de sa récente thèse, Héloïse Haliday[16] écrit : « Nous proposons par conséquent de redonner à la P.I. sa place de théorie de la pratique du travail d’équipe en psychiatrie et, plus encore, d’étendre ses conceptions aux liens inter-institutionnels afin d’analyser et de contribuer à leur développement dans les territoires français. » Cette thèse conclut ainsi que la PI devrait être source d’inspiration pour, entre autres, la qualité de vie au travail des soignants, thème tellement important aujourd’hui.

Ainsi, dans la réalité, la psychothérapie institutionnelle s’est considérablement modernisée ces dernières années, elle continue à se perfectionner et s’ouvre aux nouvelles techniques thérapeutiques. Elle partage les mêmes origines[17] que l’approche thérapeutique très en vogue dénommée réhabilitation psychosociale[18] dont elle poursuit les mêmes buts et dont elle utilise des concepts[19]. On est loin de l’image d’empoussièrement  dont certains veulent injustement l’affubler, car si l’on examine un certain nombre de critères attendus aujourd’hui des dispositifs sanitaires, la psychothérapie institutionnelle les remplit avec brio. Il suffit pour s‘en assurer de passer en revue le tableau ci-après.
 



Plus d’informations sur la psychothérapie institutionnelle :
 
[1]Article écrit sous la supervision scientifique des Dr J.L. Place et R. Salbreux
[2] Dossier remisen avril 2019 au Président de la République, au Premier ministre, à la ministre des Solidarités et de la Santé et à la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, puis au délégué ministériel à la Psychiatrie et enfin au Défenseur des Droits. Pour se procurer ce dossier,  voir sur dette même page l’intro de l’article https://150000citoyens-sans-visage.smartrezo.com/article-l-etat-deletere-de-la-psychiatrie-francaise-jette-par-milliers-les-handicapes-psychiques-a-la-rue-ou-en-prison.html?id=23646
[3] Théorisée par les Dr Jean Oury et François Tosquelles dans les années 1960-70. « Elle a eu son heure de gloire, marque de la psychiatrie française » (Dr J.L. Place).
[4] Et autres acteurs de « l’institution », cuisiniers, jardiniers, personnel d’entretien et de ménage… « Tout le monde est dans les soins ».
[5] L’expression est du Pr P. DELION, Mon combat pour une psychiatrie humaine, Albin Michel 2016.
[6] P. Delion, Mon combat… Op. cité.
[7] Il peut participer à des associations satellites dites « clubs thérapeutiques » et y prendre des responsabilités.
[8] Le « case manager » n’étant pas le psychiatre en charge du patient, mais le membre de l’équipe ayant créé le meilleur lien avec le patient. Le référent reste cependant le médecin.
[9] Dr Jean Louis PLACE, préface, in A. DUCOUDRAY & J. POURQUIE, La troisième population, remarquable BD  reportage sur la Clinique de la Chesnaie, Futuropolis 2018.
[10] Comme l’ont affirmé depuis longtemps notamment les Prs E. Zarifian et P. Delion.
[11] Une des théories des pionniers de la PI était qu’il fallait « soigner l’institution elle-même », trop stigmatisante, trop enfermante, trop anxiogène pour le patient, et finalement trop pathogène, d’où l’abattage des murs et des grilles.  Et le positionnement actif du patient au centre de l’entreprise thérapeutique.
[12] Voir l’encadré Psychanalyse, brève approche d’un sujet polémique, in Prs M. Leboyer et P-M. Llorca, Psychiatrie, l’état d’urgence, Fayard 2018. Plus largement, l’ouvrage collectif Handicap psychique : questions vives sous la direction de Valérie Bouchard-Hue, Denis Legay et alii (érès 2016) où plusieurs articles font le point sur des méthodes originales d’inspiration psychanalytique ayant montré leur efficacité pour sortir certains malades du « handicap psychique » par leur « rétablissement ».
[13] Le Dr Salbreux préfère utiliser la locution psychiatrie institutionnelle, moins datée et reflétant mieux l’évolution de la PI.
[14] Pr Jean-Philippe Boulenger, Professeur Emérite de psychiatrie d’adultes à l’Université de Montpellier, ancien chercheur associé à l’institut national américain de santé (NIMH), ancien directeur de recherche à l’INSERM, ancien professeur à l’Université de Sherbrooke (Canada), dans un entretien privé.
[15] Par exemple ceux qui ne peuvent pas être pris en charge par la psychiatrie communautaire (issue comme la PI de la « révolution psychiatrique » des années 50/60), qui cherche en priorité le maintien du patient dans son milieu naturel avec l’adhésion de ce dernier et privilégie donc l’hospitalisation à domicile, ce qui, évidemment, a la préférence des autorités de santé, mais ne fonctionne pas pour les troubles nécessitant un placement à durée indéterminée. Pour plus d’information voir par exemple Comprendre la psychiatrie communautaire par Henri Lasserre, éd. Chronique Sociale, 2009
[16] Psychologue et docteur en psychopathologie, auteur d’une thèse soutenue le 25 janvier 2019 en cours (début 2019) de valorisation scientifique : "Qui prend soin du réseau ? Essai d'actualisation du paradigme de la psychothérapie institutionnelle dans le système de santé mentale français".
[17] Le mouvement de « désinstitutionalisation »  (= de « déshospitalisation)
[18] Voir la thèse (difficile à appréhender) du Dr Solène CHEVALLIER-FOUGAS, Faculté de Médecine d’Angers, 2009, intitulée : Mise en perspective de deux conceptions du soin psychiatrique adulte : La psychothérapie institutionnelle et la réhabilitation psycho-sociale.
[19] Bien que l’on ait opposé fréquemment PI er réhabilitation psychosociale, ce qu’une thèse de doctorat en médecine de 2017 s’est efforcée de corriger : Eugénie CATTIN sous la direction du Dr Adrien ALTOBELLI  D’un lien possible entre réhabilitation psychosociale et psychothérapie institutionnelle, Faculté de Médecine PARIS DESCARTES. Voir aussi Réhabilitation psychosociale et psychothérapie institutionnelle par  Matthieu DUPREZ in  L'INFORMATION PSYCHIATRIQUE, Vol 84, N° 10, 2008. Et bien sûr la thèse citée en note 18.
[20] Non adaptée aux TSA pour les jeunes sujets.
[21] Voir par ailleurs sur cette même page l’article intitulé : QUOI APRES L’HÔPITAL PSYCHIATRIQUE ? Un nouveau regard sur la Psychothérapie Institutionnelle, et la vidéo qui l’accompagne, l’exemple de l’établissement de La Chesnaie. Les contributions du Pr A. Pelissolo (CHU Créteil) sont très révélatrices de la différence des conditions de travail entre le service public et un établissement de PI. C’est aussi le thème de la thèse d’Héloïse Haliday, op. cité, cf. note 12.

Hervé GANDILLON

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